Angèle Lecat “Les Pigeons d’Angèle”

La Guerre sans armes

C‘est la guerre que menèrent les populations des régions occupées dès l’automne 1914. Avec son lot de réquisitions, de vexations et de condamnations, cette occupation a dépassé en dureté celle que connaîtra la France vingt-cinq ans plus tard.

En avril 1916, 7 000 femmes et jeunes filles lilloises sont transportées dans des wagons à bestiaux en direction des territoires occupés de l’Aisne et des Ardennes où elles sont contraintes de travailler à raison de douze heures par jour sous la surveillance d’un chef de culture. Les conditions de vie et les tâches sont éprouvantes, notamment pour les jeunes filles exposées aux outrages et aux viols. Les civils de ces régions subirent toutes sortes de brimades, le recensement photographique et signalétique, la servitude des logements avec l’obligation d’avoir l’ennemi pour hôte.

Dans ces zones occupées, des femmes, animées d’un patriotisme rarement égalé, allaient résister à l’envahisseur et entrer vivantes dans l’histoire de leur pays, tant en France qu’en Belgique. Ce fut le cas de Louise de Bettignies, Angèle Lecat, Gabrielle Petit, Edith Cavell et bien d’autres dont les noms ont sombré dans l’oubli. ” La Guerre sans armes ” rend hommage à ces femmes qui pensaient que la vie appartenait au devoir et non au bonheur.

Le 11 Novembre 2009 à Rumegies (Nord), Stéphanie Pépin et Noémie Rogereau, interprètes du film d’Alain Cancel ” Les Pigeons d’Angèle “, ont lâché symboliquement deux pigeons au pied de la stèle d’Angèle Lecat, fusillée par les Allemands le 25 mars 1918 à l’âge de 29 ans pour espionnage avec pigeon voyageur.

Les 24 et 25 mars 2012, à Rouvray, un petit village de l’Yonne situé à 15 km d’Auxerre, s’est tenue l’exposition ” La Guerre sans armes ” relative aux femmes résistantes durant la Première Guerre mondiale. Une large place a été faite à Angèle Lecat, notamment avec la projection du film ” Les Pigeons d’Angèle ” qui a ému le nombreux public présent.

Le 3 juin 2012, l’école de Rouvray a officiellement pris le nom d’Angèle Lecat.

Angèle Lecat nait en 1889 à Rumegies, un village frontalier avec la Belgique, situé entre Lille et Valenciennes. Avant-dernière d’une famille de dix enfants – son père est cultivateur – Angèle grandit sans problèmes, proche de sa jeune sœur Philomène qui l’accompagnera jusqu’à la fin. Elle donne l’image d’une enfant au caractère franc et gai, agréable, rieuse et un peu espiègle, affichant une douceur mêlée à une volonté et une certaine fermeté.

Angèle appartient à un milieu patriarcal ancien, attaché aux vertus familiales chrétiennes et patriotiques ; nombre de ses aïeux ont occupé des fonctions sociales et religieuses déterminantes. Ce sentiment patriotique va trouver, chez les Lecat, une occasion de se manifester aux premiers jours du mois de septembre 1914, lorsque les Allemands se massent dans la région, attendant l’ordre d’envahir Lille. Ils imposent des réquisitions brutales et contraignent la population à des livraisons de denrées les plus diverses, sous peine d’emprisonnement.

En premier lieu, Marie, la sœur aînée des Lecat, refuse de payer une contribution. Puis elle est condamnée à trois jours de prison pour avoir laissé sa fille Marthe se rendre au village voisin de Saméon. Vient le tour d’Angèle qui accueille, à sa façon, une parade allemande en grimpant dans un cerisier et en voulant le pavoiser d’un drapeau tricolore… Elle récidive en giflant un gendarme allemand qui veut se faire photographier avec « une jeune Française » !

Mais les ennuis sérieux débutent en juin 1917, lorsque deux prisonniers anglais évadés d’un camp de la zone occupée, se réfugient dans la grange de Marie. Angèle et Philomène se chargent de les faire passer en Belgique. L’un des Anglais, repris, a-t-il été contraint à parler ? Ce n’est là qu’une hypothèse, mais le 4 octobre Angèle et Philomène sont arrêtées (Marie, le mois suivant). Toutes trois comparaissent devant un Conseil de guerre et sont condamnées à 6 mois de prison.

Les sœurs Lecat sont encore emprisonnées lorsque survient l’histoire des pigeons, en septembre 1917. Régina et Casimir, deux adolescents occupés aux travaux des champs, avaient trouvé un panier en osier contenant un pigeon, des journaux de la France libre et des demandes de renseignements sur les mouvements de troupes allemandes. Ils avaient fait part de leur découverte à Angèle laquelle, dans un premier temps, avait craint qu’il ne s’agisse d’un pigeon allemand (elle connaissait parfaitement les méthodes de l’Occupant qui déposait ses propres pigeons pour démasquer les personnes renseignant les Alliés).

Ainsi, le 1er septembre 1917, Angèle et Philomène envoient le message suivant : « La 11e division de réserve répartie dans les environs de Saint-Amand compte partir pour Anvers. Prière à M. Hecquet à Mello (Oise) d’embrasser nos frères pour nous. Des prisonniers français travaillent ici. Signé : deux petites Françaises de Valenciennes ». Ce message parviendra bien aux Anglais, comme en témoignera une attestation du 4 avril 1919 émanant de la British Military Intelligence Commission.

À la prison de Malines, où elle purge sa peine, Angèle va avoir l’imprudence de relater par écrit l’épisode du message à sa voisine de cellule, qui n’est autre qu’un « mouton », une indicatrice à la solde des Allemands. Elle nie aussitôt avoir rédigé ces notes mais le procureur détenant un spécimen de son écriture, la confond. Le 2 février 1918, Angèle et Philomène comparaissent pour la seconde fois devant un Conseil de guerre. Verdict : la peine de mort pour Angèle, cinq ans de réclusion pour Philomène. Elles restent ensemble durant un mois et demi, incarcérées à la prison de Saint-Amand. La veille de l’exécution, Philomène est transférée à Valenciennes. Un pressentiment rend leur séparation déchirante mais elles espèrent toujours une grâce impériale. A l’aube du 25 mars 1918, Angèle est exécutée au bord de la Scarpe, à Saint-Amand.

Le commandant Hellingrath, en poste à la Kommandantur de Saint-Amand, avait « omis » d’expédier le recours en grâce d’Angèle. Il quitta la région dans les jours suivants et se vanta de ne pas être parti « sans avoir eu la tête d’une Française ». En 1925, il fut condamné par contumace devant le Conseil de guerre, à vingt ans de travaux forcés. Son successeur sembla regretter la situation et fit libérer Philomène quelques jours après l’exécution d’Angèle.

Le 6 avril 1919, Angèle Lecat reçut à titre posthume la croix de guerre avec la citation suivante, signée du Maréchal Pétain : « …Mademoiselle Angèle Lecat de Rumegies, jeune fille d’une abnégation et d’un patriotisme admirables, a payé de sa vie les services exceptionnels qu’elle a rendus à la France ». En juillet 1919, quelques jours après la signature du traité de Versailles, la ville de Saint-Amand et la commune de Rumegies lui firent d’imposantes funérailles. En 1924, on lui remit la croix de Chevalier de la Légion d’honneur.

Angèle Lecat reste, pour la mémoire, une victime de la guerre et le symbole de la fibre patriotique qui se mit en émoi dès l’invasion allemande à l’automne 1914. Mourir à 29 ans pour un pigeon peut sembler bien irréel aujourd’hui. La vie perdue par idéal patriotique reste une tragédie pour l’ensemble de la société. Prochainement, un espace muséal dédié aux femmes résistantes verra le jour à Saint-Amand-les-Eaux. Angèle Lecat y aura sa place aux côtés de Louise de Bettignies, Gabrielle Petit et Edith Cavell.

Documentation : Marc Debersée

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À  tire – d’aile     Pigeon soldat

On estime à 60 000 le nombre de pigeons utilisés par l’armée française durant la Première Guerre mondiale, et à 20 000 ceux qui ont succombé aux tirs et aux gaz. Leur concours a été précieux pour la transmission de renseignements lorsque les signaux optiques ou la TSF s’avéraient défaillants, ils ont parfois modifié le cours d’une bataille et, pour certains, sauvé des vies.

En novembre 1914, quand la guerre de mouvement laisse place à la guerre de positions, on s’aperçoit vite que les colombiers sont, soit trop éloignés des premières lignes, soit trop rapprochés. L’idée est donc d’amener les pigeons au plus près du front. Trois autobus à impériale (dits Araba) de marque Berliet sont aménagés en pigeonniers mobiles courant 1915 ; les Anglais en font de même avec leurs autobus londoniens. Le bas sert de réserve à nourriture pour les pigeons, et de logement pour le soigneur. Ces véhicules suivent les mouvements de troupes en fonction de leurs avancées ou de leurs replis. En 1916, il est mis en service seize pigeonniers sur remorque.

Les pigeons amenés en première ligne dans des paniers en osier sont relâchés avec leur message au gré des événements, notamment quand les communications téléphoniques sont coupées. Ils rejoignent alors leur propre pigeonnier mobile où un soldat récupère le précieux message qu’il s’empresse de transmettre, à bicyclette ou à cheval, à son poste de commandement.

L’histoire de la colombophilie militaire au cours de la Première Guerre mondiale a retenu, entre autres exploits héroïques, celui du pigeon soldat le Vaillant (matricule 787-15) chargé de transmettre l’ultime message du commandant Raynal défendant le fort de Vaux durant la bataille de Verdun en 1916. Encerclé avec sa garnison de 600 hommes dans la forteresse, et isolé des lignes françaises, le commandant oppose une farouche résistance aux assauts allemands à l’intérieur même du fort.

Après sept jours, à court de munitions, d’eau et de nourriture, le commandant Raynal lâche son dernier pigeon le 4 juin à 11 h 30, porteur du message ci-dessus. En dépit des gaz asphyxiants, des tirs et des épaisses fumées, le Vaillant atteint le colombier de la citadelle de Verdun, mourant. L’histoire veut qu’il ait survécu grâce aux bons soins des militaires colombophiles. Il reçut une bague d’honneur aux couleurs de la Légion d’honneur avec citation à l’ordre de la Nation. Le fort de Vaux succombera le 7 juin à l’offensive allemande, mais sera repris cinq mois plus tard.

Non moins célèbre, le pigeon soldat Cher Ami délivre un message pathétique le 3 octobre 1918 en Argonne : « Nous sommes le long de la route parallèle au 276.4. Notre propre artillerie fait un tir de barrage sur nous. Pour l’amour du ciel, arrêtez ! ». A peine lâché, le pigeon est pris pour cible par les Allemands. Tombé au sol sous les yeux des soldats américains dépités, il finit par reprendre son envol et couvre les 40 km qui le séparent de son pigeonnier en 25 mn, sauvant la vie de 194 soldats.
Couvert de sang, blessé à la poitrine et à un oeil, les médecins de la 77e division d’infanterie américaine à laquelle il appartient ne peuvent sauver l’une de ses pattes qui ne tient plus que par un tendon. De retour aux Etats-Unis, « Cher Ami » recevra honneurs, décorations et passera à la postérité.

La Belgique et le Nord de la France, pays et région de coulonneux (éleveurs de pigeons de réputation ancestrale) ont rendu hommage aux pigeons voyageurs en inaugurant en 1931 à Bruxelles, et en 1936 à Lille, des monuments à la gloire des pigeons soldats de la Première Guerre mondiale.

À  tire – d’aile     Pigeon espion

Dans les zones occupées dès l’automne 1914 les Allemands placardent des affiches dans les villes et villages, interdisant la détention de pigeons sous peine de mort. Quant aux personnes qui en trouveraient : «… elles sont tenues de les remettre à l’autorité militaire la plus proche, faute de quoi elles seront suspectées d’espionnage et s’exposeront à des poursuites. Les infractions commises par négligence seront punies d’un emprisonnement pouvant atteindre 3 ans ou d’une amende pouvant s’élever jusqu’à 10 000 marks ».

Dans une région où l’on est coulonneux de père en fils, tuer ses propres volatiles est impensable. Nous sommes en novembre 1914, et Joseph Lefèvre, habitant de Bohain-en-Vermandois (Aisne), refuse de tuer ses pigeons. Il est emprisonné puis conduit au champ de tir où il est fusillé sans jugement « pour l’exemple ». D’autres civils connaissent le même sort que ce soit pour simple détention, tel le mineur Paul Bussière (les mineurs de fond étaient pour la plupart des colombophiles nés), ou pour transmission de messages telle Angèle Lecat.

Pour fournir des pigeons aux civils des zones occupées, afin qu’ils puissent transmettre tout renseignement utile (positions et mouvements de troupes ennemies, passage des convois…), deux méthodes de largage à partir d’avions sont employées. La première consiste à encapuchonner les pigeons et à les relier par quatre à l’aide d’une cordelette ; chacun annihilant la volonté de l’autre de partir dans un sens, les quatre oiseaux tombent pratiquement à la verticale sans dommage. Dans la seconde méthode (utilisée par les Anglais) des cages en osier contenant les volatiles sont suspendues à un ballon qui freine leur descente et amortit le contact avec le sol. Aux civils de les récupérer à leurs risques et périls…

C’est un allemand, Julius Neubronner, qui a l’idée d’équiper les pigeons d’un appareil photographique ultra léger permettant la prise de vues aériennes au moyen d’un objectif grand-angle et d’un mécanisme de déclenchement à retardement. Étant donné que l’on connaît le trajet et la vitesse à laquelle le pigeon regagne son pigeonnier, il est facile de programmer avant son envol le déclenchement automatique de l’appareil photographique à des endroits stratégiques.

Au hasard d’une promenade, un couple alsacien a fait une découverte surprenante dans un champ du Haut-Rhin, en septembre 2020 .* Ils ont trouvé un porte-message avec son contenu rédigé en allemand, envoyé par un officier d’un régiment d’infanterie prussien en poste à Ingersheim (non loin de Colmar). Le message fait état de manoeuvres militaires en 1910 semble-il (la date est difficilement lisible), époque où l’Alsace se trouvait en territoire allemand. Le pigeon a probablement perdu la capsule en vol, car celle-ci a été retrouvée à quelques centaines de mètres seulement de l’endroit où elle a été envoyée. * cf. Dernières Nouvelles d’Alsace 18/11/2020

À  tire – d’aile     Pigeon mystère

De nos jours encore, le sens de l’orientation dont les pigeons voyageurs font preuve comporte des zones d’ombre. Il ressort des différentes études et des expériences menées de par le monde, trois facteurs. Les pigeons voyageurs (comme les abeilles, fourmis, dauphins, tortues, saumons…) utilisent le champ magnétique terrestre pour s’orienter de jour comme de nuit, par temps de brouillard ou couvert, grâce à des petits cristaux de magnétite (un oxyde de fer) situés dans leur boîte crânienne, qui agissent pareillement à l’aiguille d’une boussole.
Ces cristaux seraient en relation avec leur sens de l’olfaction, les odeurs portées par les vents entreraient en ligne de compte dans leur système de navigation. Troisième élément : les pigeons se baseraient également sur des repères visuels au sol, et se serviraient de la position et de la hauteur du soleil le jour, de la lune et des étoiles la nuit. On peut imaginer qu’au gré des circonstances, ils utilisent une savante combinaison de ces trois éléments, mais au-delà de 1 200 km le pigeon éprouve des difficultés à retrouver son pigeonnier.
L’instinct qui pousse ces volatiles à revenir toujours et encore à leur point de départ est connu et utilisé depuis la plus haute Antiquité. Mais si le blanc pigeon, qu’est la colombe de l’Arche de Noé, a bien rempli sa mission, le paradoxe n’est-il pas d’avoir utilisé ce messager de la Paix à des fins guerrières ?

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