Le Tricot du Soldat

L’histoire débute aux premiers jours du mois d’août 1914, dans un village du nord de l’Yonne où Émilie, jeune institutrice, a été nommée à son premier poste. Féministe, elle milite en faveur du droit de vote des femmes aux côtés de Séverine, journaliste parisienne reconnue. Depuis un an, elle entretient une liaison passionnelle avec Antonin.

Ebéniste et artiste-peintre, pacifiste convaincu, Antonin milite à la Fédération communiste anarchiste. A la réception de son ordre de mobilisation, il trouve refuge chez Émilie où il va vivre cloîtré, et passer ses journées à peindre.

À l’automne 1914, est créé le comité national du Tricot du Soldat afin d’organiser la fabrication rapide d’effets pour les combattants à l’approche de l’hiver. Émilie se rend chaque soir à l’ouvroir installé dans sa classe, en compagnie d’autres femmes et des plus grandes de ses élèves, pour tricoter écharpes, passe-montagnes, moufles et mitaines. Elle y apprend et rapporte à Antonin, les nouvelles du front.

Dans ce huis clos, l’insoumis et la féministe aux idées libertaires vont donner libre cours à leur folle passion avant que la réalité du conflit ne les rattrape.

Une femme amoureuseNhoé Zélie

Séverine

Séverine, de son vrai nom Caroline Rémy (1855 – 1929), a inspiré le personnage d’Emilie dans le Tricot du Soldat. Première femme journaliste à vivre de sa plume, elle relance en 1883 le Cri du peuple, journal créé par Jules Vallès, « le tuteur de son esprit », comme elle aimait à dire. Celui qui lui donna « un coeur de citoyenne et un cerveau de citoyen ».

Séverine est de tous les combats contre les injustices : droit de vote des femmes, droit à l’avortement, accès aux métiers dits masculins… Elle soutiendra jusqu’à sa mort toutes les causes de l’émancipation humaine. Elle inaugure le grand reportage sur le terrain en couvrant des événements tragiques, toujours du côté des victimes. En 1897, elle fonde avec Marguerite Durand la Fronde premier journal entièrement rédigé et dirigé par des femmes.

Dénonçant l’Union sacrée en 1914, la farouche pacifiste s’enthousiasme pour la révolution russe de 1917. Après guerre, elle devient membre du PCF alors naissant, mais le quitte devant le refus de ce dernier d’adhérer à la Ligue des Droits de l’Homme. En 1919, Anatole France suggère le nom de
Séverine pour le Prix Nobel. En vain. A 72 ans, deux années avant sa mort, elle est présente au meeting de soutien à Sacco et Vanzetti, anarchistes italiens à la culpabilité controversée.

Le bel oiseau libre, dont Renoir peignit le portrait, confiait « J’aime l’indépendance de l’adversaire autant que la mienne propre ; je conçois que le cerveau du voisin ne soit pas moulé sur le mien. » Et concernant son style littéraire, ou la teneur de ses articles : « Ce qu’ils appellent mon talent n’est fait que de ma conviction. »

Le Tricot du Soldat

Dès l’automne 1914, des comités du Tricot du soldat sont constitués afin de fournir aux combattants des écharpes, passe-montagnes, mitaines, moufles et chaussettes en prévision de l’hiver. Jeunes filles, mères et grand-mères de France se mettent au tricot.

Parmi les documents d’époque présentés ci-dessous, figure la lettre de remerciements du Comité départemental de l’Yonne, adressée à la directrice de l’école de filles de Courlon (Yonne). Merci à Michel Mauny pour la fourniture de cette lettre.

Se battre pour la Paix

Le Tricot du Soldat aborde le thème de l’insoumission. Ce qui pourrait sembler inopportun après la récente commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale, trouve toute sa justification au regard du mouvement pacifiste né en Europe à la fin du XIXe siècle, et qui n’a cessé de s’amplifier jusqu’en 1914 où il s’est délité face à « l’Union sacrée ».

Héritier des théories de la paix (édifiées par les philosophes des Lumières), Frédéric Passy fonde en 1867 à Paris, la Ligue internationale de la Paix, tandis que la même année se tient à Genève le Congrès de la Paix et de la Liberté. Mais les propositions du Congrès de Berne en 1868, et celles du Congrès de Lausanne l’année suivante, volent en éclats à la déclaration de guerre de la France à la Prusse, le 19 juillet 1870.

En 1899, puis en 1907, les conférences internationales de la Paix à La Haye prônent l’organisation du droit international, et le règlement des conflits par des procédures d’arbitrage. Des signes forts apparaissent en faveur de la paix, partout en Europe. En Autriche, le prix Nobel de la Paix est remis à l’Autrichienne Bertha Von Suttner (1905), et au journaliste Alfred Hermann Frieden (1911). En Italie, c’est à Ernesto Teodoro Moneta, que ce prix revient en 1907.

En 1912, face aux pacifistes juridiques bourgeois, animateurs des diverses ligues pour la paix, se tient à Bâle le Congrès de la II e Internationale qui tente de coordonner les actions des socialistes pacifistes européens au rang desquels figure l’emblématique Jean Jaurès.

Et puis il y a les syndicalistes révolutionnaires (la CGT préconise la grève générale insurrectionnelle en cas de guerre), les anarchistes, les antimilitaristes, les antipatriotes, fichés sur le fameux Carnet B par les services de gendarmerie, ceux qu’il est prévu d’arrêter en cas de mobilisation. Mais devant le faible pourcentage d’insoumis (1,5% d’après l’Etat-major, sur 3,6 millions d’hommes mobilisés), le Carnet B n’est pas appliqué. « L’Union sacrée », encore appelée « la Paix civile », prévaudra.

En écho au philosophe italien Benedetto Croce qui écrira : « le socialisme est une idée, mais la patrie est un instinct », le personnage d’Emilie dans le Tricot du Soldat reprendra les mots de Romain Rolland :
« Il est quelque chose de plus grand que la patrie, la conscience humaine… ».

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